L’école que nous vivons n’est souvent pas celle que nous désirons. Quotidiennement, nous sommes confronté-e-s à des situations pénibles qui mettent à mal notre enseignement et fragilisent notre santé ou celle de nos collègues. Pour que ces faits largement éprouvés par un grand nombre d’entre nous – faits parfois anodins mais révélateurs d’une situation générale – ne demeurent pas ignorés, il faut les partager. À l’image de l’intervention ci-dessous rédigée par une collègue, il s’agit d’exprimer le malaise qui gagne depuis plusieurs années l’école afin d’alerter la hiérarchie et le public. Après votre lecture, nous vous encourageons donc à faire part individuellement ou collectivement de vos préoccupations en poursuivant, par exemple, la phrase suivante : « Aujourd’hui, je n’ai pas pu enseigner normalement car … »

Envoyez-nous vos textes à info[at]svms.ch, nous le publierons sur le site, en les rendant bien évidemment anonymes.

Petit coup de blues… Par une maîtresse de musique

Cela fait de nombreuses années que j’enseigne la musique et j’ai toujours entendu que cette branche était probablement la plus difficile à enseigner. Simplement parce que c’est une matière qui compte peu, dans le fond, dans le parcours scolaire de tout élève. Qu’au mieux les élèves aiment cette matière et viennent à vos cours avec plaisir, qu’au pire ils ne l’aiment pas ou la considèrent peu et viennent « fiche » le bordel. Mais ce n’est ni mon souci ni mon propos aujourd’hui. J’aime cette liberté que nous avons, les musiciens, nous qui n’avons pas de programme précis mais des objectifs plus ou moins réalisables, restons humbles, et nous qui avons ce privilège de vivre dans le fond, de notre passion. J’ai toujours bien vécu ce challenge, ce pari très « rock ’n’ roll » et j’ai toujours pu trouver en moi l’énergie, l’envie, le goût de continuer. Il y a tant de moments baroques et magiques.

Mais là, j’avoue que j’ai mal. Mal à ma profession, pas celle de musicienne, mais celle d’enseignante. J’ai beau y mettre tout mon cœur, le chœur des élèves, la pâte sonore ne prend pas! Et malgré tout, il faut continuer à valoriser ce qu’ils font, ce qu’ils sont, ce qu’ils ont de meilleur en eux et donner un sens.

Si j’étais la seule à avoir mal, je pourrais à la limite, mieux l’accepter et je me dirais que c’est classique, que la vie ne nous fait pas que des cadeaux, qu’il faut beaucoup se battre et se débattre. Que les joies et épanouissements sont nombreux, mais que les cassées de figure, les ras-le-bol et les tristesses ne manquent pas! Que c’est un mauvais moment (le mois de novembre), « que tu as eu beaucoup cette année, que c’est l’âge, que ça va aller mieux, que ça va passer, que ça finit toujours par passer ».

Mais non! Il ne s’agit pas de moi ou « si peu »! Ça fait trop longtemps que je vois autour de moi des collègues qui boivent la tasse, qui ne sont plus fatigués mais épuisés, que cet état ne dure plus un moment seulement mais s’installe, les lamine petit à petit…

J’ai encore mal à l’émotion d’un collègue qui exprimait, il y a quelques années, son « y en a marre »; ou à celle d’un autre qui témoignait à la conférence des maîtres de fin d’année, que l’année pour lui avait été lourde, trop lourde.

J’ai mal à mes jeunes collègues qui sont en arrêt maladie parce que le trop-plein de tout à l’école (maîtrise de classe, enseignement, contacts avec les parents, multiples réseaux, assistanat social, éducation, gestion de situations plus que compliquées et insolubles, surcharge administrative, qualité des élèves…) les amène à devoir s’arrêter quelques jours, quelques semaines au mieux ou plusieurs mois lorsque la détresse, car il s’agit bien de cela, les submerge.

J’ai mal à nos collègues qui ne sont pas loin du burn-out à l’heure actuelle. J’ai mal à nos remplaçants qui sont envoyés dans des classes où ils risquent d’être bouffés tout crus.

J’ai mal à notre jeune collègue qui à peine engagé, a quitté le navire après quelques semaines, fait qui est presque passé sous silence.

J’ai mal à nous tous qui subissons des attitudes de plus en plus hostiles voire agressantes chaque jour et de manière banalisée de la part de certains élèves.

J’ai mal à notre conseil de direction, à notre directeur qui se débattent au milieu de tout « ça »! Merci de votre soutien.

Mal à nos secrétaires qui font office de tampon.

J’ai mal pour moi car cette situation est très anxiogène. J’ai mal à ma motivation.

J’ai mal à nos concierges qui sont au quotidien en train de limiter la casse au propre et au figuré.

J’ai mal à nos femmes de ménage qui doivent, entre autres, nettoyer les WC souillés volontairement par quelques élèves malveillants.

J’ai mal à nos élèves, enfin (bien qu’on ait de quoi râler) dont les parcours cabossés, les difficultés familiales, d’apprentissage, de comportement, les crises de colère de plus en plus fréquentes, de plus en plus violentes, leur trop souvent incapacité à gérer la frustration, leurs incivilités, leur difficulté à accepter un cadre, leur manque de culture commune, leur difficulté à travailler, à trouver un sens, à envisager un avenir sont de l’ordre du handicap.

J’ai mal à nos élèves, à leur détresse, à eux aussi, car ils sont les premières victimes de notre système scolaire à la dérive qui aujourd’hui exige d’eux une constante et quotidienne adaptation: leur besoin essentiel d’appartenance à un groupe donné est sacrifié au nom des niveaux, des changements de locaux, des options avec le nombre d’intervenants que l’on sait. Sans parler du fait que le même système crée une école à deux vitesses. Les forts s’en sortent toujours, quant aux autres…

Je suis inquiète pour nous tous car je ne vois pas comment faire pour inverser la vapeur, ou juste « améliorer » l’ordinaire, J’ai peur que nous ne fassions que foncer droit dans le mur! Ça fait très mal un mur!

On nous a dit là-haut qu’on était à notre écoute! Ah bon, si vous le dites alors!

La gratuité pour plus d’équité, c’est presque un logo ça, et nous voilà obligés d’écrire des lettres pour réclamer le minimum de budget « vital » et un peu de cette équité justement, alors vous pensez bien que je perds un peu la foi quant aux vrais problèmes de fond, essentiels.

Bon, allez, promis, je vais me ressaisir, prendre sur moi, arrêter de râler, retrouver l’envie et l’élan, et sourire!

Oh et puis c’est bientôt Noël, j’adore Noël; la file musique va faire joli dans le paysage, c’est notre moment une fois de plus, nous allons en brailler une ou deux lors de la soirée de fin d’année, ben oui, c’est écrit sur le programme; ça va faire plaisir à tout le monde, à moi surtout j’avoue, en émouvoir quelques-uns et la magie, même momentanée, va peut-être opérer.

D’ici là, je vais boire un bon grand coup, tout à l’heure, à l’apéro! À votre santé à vous toutes et tous, à la mienne aussi, pour ne rien oublier et surtout faire genre que « ça va un p’tit peu mieux! »

Paroles rapportées lors d’une conférence des maître.sse.s, décembre 2019

Et vous, de quoi avez-vous mal ? « Aujourd’hui, je n’ai pas pu enseigner normalement car … »

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